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Exemple

Les chercheurs de l’Université Lyon-2, Jean Ecalle, Marion Navarro, Hélène Labat, Annie Magnan et Agir pour l’école viennent de publier un article pour la revue STICEF intitulé « Concevoir des applications sur tablettes tactiles pour stimuler l’apprentissage de la lecture : quelles hypothèses scientifiques ? ».

Présentation de 3 applications numériques d’apprentissage de la lecture.

 


L’introduction des tablettes et applications numériques dans les classes pose de nombreuses questions

Quelle place faire à ces nouvelles technologies ? À quel profil d’élèves sont-elles destinées ? Quelles sont les modifications à apporter aux pratiques d’enseignement ?

En s’appuyant sur les expérimentations menées, cet article permet de faire le point sur l’utilisation des tablettes numériques dans les apprentissages, notamment celui de la lecture. Il s’intéresse à l’ergonomie des applications numériques, à leur utilisation dans les pratiques pédagogiques ainsi qu’aux conditions de leur efficacité.

 


Le numérique dans l’apprentissage : des outils pertinents

Plus intuitif et facile d’utilisation que les ordinateurs, les tablettes numériques sont particulièrement bien adaptées aux jeunes enfants. Si les applications en elles-mêmes n’ont pas toujours fait l’objet d’évaluations, les études montrent clairement l’intérêt des enseignants comme des élèves pour ces nouveaux outils.

Pour ce qui est de l’apprentissage de la lecture, il existe peu d’applications qui lui soient spécifiquement consacrées et ces applications ne sont pas évaluées. Elles ne s’appuient d’ailleurs pas nécessairement sur les compétences fondamentales que doivent acquérir les enfants pour comprendre un texte lu.

L’utilisation des tablettes tactiles suppose pourtant que les enseignants et les parents soient informés de l’efficacité réelle des applications disponibles.

Il est donc urgent aujourd’hui de concevoir des applications reposant sur des hypothèses scientifiques sérieuses et de tester leurs effets lors d’expérimentations avec groupe témoin.

 

 


Autophono : « stimuler les habilités phonologiques »

Autophono

 

Conçue dans le but de développer ces « habilités phonologiques », Autophono tend à renforcer la prise de conscience phonémique. Cette application peut être efficace pour stimuler les habiletés phonologiques auprès d’enfants repérés en difficulté dès la maternelle. Stimuler les habiletés phonologiques précocement constitue un atout pour faciliter l’apprentissage de la lecture.

 

Du son au mot : habilités phonologiques et connaissances des lettres

Cette application adopte une approche multi-sensorielle car les travaux de recherche montrent que l’apprentissage haptique des lettres permet une meilleure compréhension du principe alphabétique mais démontrent également l’importance de l’écriture dans l’apprentissage d’une lettre. Écrire, c’est aussi apprendre à lire.

Du Son au Mot

 

L’application du Son au mot, en cours de développement, est composée au total de six chapitres. Dans le premier chapitre (ci-dessus) l’enfant doit tracer la lettre dont il entend en même temps le nom et la valeur phonémique. La lettre est apprise avec un ancrage multi-sensoriel : grapho-moteur, auditif et visuel.

 

Le traitement syllabique avec Syllabo Cod

Conçue au sein du laboratoire EMC (Lyon2) et développée par l’éditeur Adeprio, cette application s’adresse à des enfants pré-lecteurs et apprentis lecteurs en difficulté. Elle a pour objectif de faciliter la découverte du code alphabétique, pour ensuite le maîtriser et permettre aux enfants d’identifier les mots écrits.

SyllaboCod

 

Actuellement en cours de test, l’application permet aux enfants d’effectuer plusieurs tâches, comme segmenter des mots selon leur syllabe orale, retrouver les lettres pour reconstruire la syllabe écrite du mot écrit et reconstituer la première syllabe du mot entendu.

 


Ce qu’il faut retenir de ces expérimentations

Les outils numériques doivent répondre à plusieurs critères tant sur le plan scientifique que sur le plan ergonomique. La question de leur introduction se pose à trois niveaux : leur ergonomie propre, leur utilisation réelle en classe et leur efficacité.

Le contexte d’utilisation des outils numériques doit être pris en considération. La qualité et le suivi de l’équipement mis à disposition dans les classes, tout comme la mobilisation des enseignants sur l’insertion du numérique dans leurs pratiques, sont des éléments déterminants.

 

L’aspect attractif et moderne des tablettes ne suffit pas à démontrer leur impact sur les performances des élèves.

 

Il convient de se poser un certain nombre de questions préalablement à l’utilisation des applications numériques.

 

Des études expérimentales sont donc nécessaires pour progresser dans le développement d’outils efficaces.

 

 

Retrouvez l’article complet de Jean Ecalle, Marion Navarro, Hélène Labat, Annie Magnan et Agir pour l’école ici.

Exemple

 


Stanislas Dehaene, pionnier des sciences cognitives en France

 

Stanislas Dehaene est né dans le Nord de la France en 1965. Diplômé de l’Ecole Normale Supérieure, il est actuellement titulaire de la chaire de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France. Il est également membre de l’Académie des Sciences depuis 2005.

 

Stanislas_Dehaene_2014

 

Stanislas Dehaene est un des pionniers de la compréhension des mécanismes de l’apprentissage fondée sur les sciences cognitives en France.

Ses travaux, dont Agir pour l’école s’inspire pour créer et mettre en œuvre ses méthodes d’apprentissage de la lecture, sont compilés dans divers ouvrages qu’il a publiés ces dernières années : « Les neurones de la lecture » et « Apprendre à lire ».

 

APE_SD livres lecture

 

Dans un article pour la Paris Tech Review, le chercheur nous apprend que « la remarquable plasticité du cerveau humain le rend habile, à tout âge, à apprendre. Encore faut-il savoir en tirer parti. C’est ici que les neurosciences ont leur mot à dire ». Les neurosciences (ou sciences cognitives) ont en effet amélioré notre compréhension du fonctionnement du cerveau humain et des mécanismes de l’apprentissage.

Grâce à la technologie de l’IRM – « Imagerie par Résonance Magnétique » – Stanislas Dehaene a montré la formidable « plasticité cérébrale » des êtres humains. Selon lui, « c’est précisément ce qui nous permet d’apprendre. Cette plasticité, on doit la comprendre comme une remarquable capacité à recycler des circuits présents dès l’origine. »

 


Les 4 piliers de l’apprentissage

 

Le chercheur recense, à partir de ses propres travaux et des progrès récents des sciences cognitives, « quatre facteurs principaux de réussite d’un apprentissage ».

Le premier est l’attention. « L’attention est le mécanisme de filtrage qui nous permet de sélectionner une information et d’en moduler le traitement ». Pour l’enseignant, il faut  savoir canaliser l’attention de celle ou celui qui apprend.

Le deuxième pilier est « l’engagement actif ». « L’enseignant ne peut mobiliser que si l’enfant ou apprenant se mobilisent ». L’engagement actif recoupe également la soumission à des tests – de savoirs, comme de savoir-faire – qui seront autant de jalons dans la mobilisation des enfants et des apprenants.

Le troisième facteur de réussite d’un apprentissage est le retour d’information (le « feedback », en anglais). Ce facteur est central puisqu’il permet de souligner l’importance de l’erreur. En effet, « le cortex est une sorte de machine à générer des prédictions et à intégrer les erreurs de prédictions : il lance une prédiction, reçoit en retour des informations sensorielles, et une comparaison se fait entre les deux ». L’erreur est un retour d’information qui permet d’aboutir à une prédiction plus précise et plus adaptée : l’erreur représente donc une condition de l’apprentissage !

Le 4ème facteur est la répétition pour la consolidation des acquis. L’exemple de l’apprentissage de la lecture est particulièrement éclairant. « L’enfant au début doit justement retenir consciemment chacune des correspondances entre les lettres et les sons, et les appliquer une par une. La répétition, ainsi qu’une bonne nuit de sommeil, permet de consolider et d’automatiser les apprentissages, au premier chef, l’apprentissage de la lecture.

 


 Et la lecture ?

 

Comment le cerveau fonctionne-t-il pour l’apprentissage de la lecture ? S. Dehaene utilise la métaphore informatique pour l’expliquer.

« La zone de la lecture recycle un ‘algorithme’ préexistant, celui de la reconnaissance des visages : à l’IRM [l’imagerie à résonance magnétique], on voit nettement la même zone s’activer. D’une reconnaissance des visages elle passe à une reconnaissance des lettres et des mots ». La plasticité du cerveau réside dans sa capacité à ré-agencer ses « algorithmes », présents dans le cerveau de chaque être humain dès la naissance.

Les travaux de Stanislas Dehaene aboutissent, en matière d’apprentissage de la lecture, à une conclusion claire : « la ‘méthode globale’ d’apprentissage de la lecture est condamnée à ne pas bien fonctionner ».

C’est l’apprentissage des « composantes autonomes, associations de graphèmes et de phonèmes » qui permettent au cerveau d’automatiser la cognition petit à petit pour aboutir à la lecture de mots entiers.

 

Dès lors, les conditions du « petit miracle » de la lecture sont réunies.

 

 

Exemple

La revue The Atlantic a mené un entretien passionnant avec Mark Seidenberg, Professeur de Psychologie à l’Université du Wisconsin-Madison, qui étudie depuis de très nombreuses années l’apprentissage de la lecture. Agir pour l’école retranscrit l’essentiel de ses analyses.   

 

 

Mark Seidenberg, un universitaire spécialiste de l’apprentissage de la lecture

 

« J’étudie les domaines suivants : comment fonctionne la lecture, comment les enfants apprennent à lire, et les obstacles que beaucoup d’enfants rencontrent, depuis de nombreuses années » ouvre M. Seidenberg.

Il vient en effet de publier l’ouvrage « Language at the Speed of Sight » – « Le langage à la vitesse du regard », en français – qui fournit des données inquiétantes à propos du niveau de lecture des jeunes américains.

Le constat est alarmant :

« Selon le plus récent rapport du ‘National Assessment for Education Progress’ [Évaluation Nationale pour le Progrès de l’Education, un indicateur du niveau de compétences en lecture aux Etats-Unis], un tiers seulement des élèves de CM1 (Fourth Grade) et de 4ème (Eigth Grade) [des évaluations se font à la fin de ces ‘classes’ aux Etats-Unis] avait plus ou moins un bon niveau de lecture l’année dernière ».

Seidenberg est direct, cette performance médiocre est liée à la sous-utilisation des recherches sur l’apprentissage de la lecture. Comment expliquer autrement qu’avec « tant de savoirs sur le fonctionnement de la lecture, il y ait beaucoup de jeunes gens qui ne sachent pas bien lire ? »

 

Deux cultures de l’apprentissage de la lecture et des conséquences sur les enfants les plus défavorisés

 

Il y a deux cultures dans le domaine de l’éducation qui ne dialoguent pas souligne M. Seidenberg. La recherche – « reading science » – qui mêle « psychologie, linguistique et aujourd’hui les neurosciences » sur la lecture et son apprentissage trouve peu d’écho auprès des enseignants. De leur côté, ces derniers considèrent souvent la lecture comme une simple « mécanique ».

Il décrit des enseignants qui s’intéressent davantage à la culture littéraire, à ce que permet la maîtrise de la lecture. M. Seidenberg et ses confrères, universitaires et chercheurs, a contrario, « insistent […] sur les prérequis [de l’apprentissage de la lecture] : être capable de lire rapidement et précisément, grâce à des compétences directes, clés en main ». Quelle est la conséquence de ce manque de dialogue entre les chercheurs en pédagogie et le monde de l’éducation aux Etats-Unis ?

« Ce sont les enfants les plus pauvres » qui pâtissent le plus de la situation, « ceux qui ont le plus besoin d’aide et pour qui cela serait le plus bénéfique d’utiliser les travaux scientifiques de qualité, complètement laissés de côté ».

 

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Le rôle majeur de l’éducation pour lutter contre la pauvreté

 

Dans le cadre d’une politique globale de lutte contre la pauvreté, M. Seidenberg souligne l’importance de l’éducation et ses effets à long terme : « l’éducation joue un rôle majeur dans les différences socio-économiques, et on ne peut pas dire que le système fonctionne correctement s’il fonctionne uniquement pour les classes moyennes et les ménages aisés. » C’est à l’école de transmettre les savoirs fondamentaux aux enfants des ménages les plus défavorisés.

Il conclut : « nous en savons plus sur comment les enfants apprennent, nous savons plus sur les mécanismes de la lecture, nous pouvons l’utiliser. La science n’est pas la solution à tous ces problèmes, elle ne peut pas venir à bout de la pauvreté toute seule. […] Mais la recherche peut y contribuer. » Une analyse éclairante pour comprendre les enjeux actuels de l’apprentissage de la lecture aux Etats-Unis… et en France.
Retrouvez l’interview du Professeur Seidenberg sur le site de la revue The Atlantic (en anglais).